Too much blood (1)

206_2Samedi après-midi, sur le parking de la piscine, les places libres sont rares. Ma voiture se faufile dans un étroit couloir encombré de vélos, d’une mobylette et heurte une 2CV beige voisine. Le moteur vrombit, se cabre, le levier de vitesse grince et craque, je tente de reculer, mais à l’avant, les deux pares-chocs sont si bien accrochés, entremêlés, que je ne peux même plus bouger. Je sors du véhicule, claque la portière, tourne en rond, les larmes aux yeux, les mains tremblantes. J’ai besoin de conseils, mais ne trouve personne pour me secourir. Désorientée, je cours sur la pelouse, pourchassée par le tapage des baigneurs plongeant dans les bassins et les conversations des adolescents affalés sur les transats du bar et qui m’observent à travers les grillages. Je quémande de l’aide au vigile de l’entrée qui m’écoute à peine, hausse les épaules, marmonne avec dédain: « Il y a un dépanneur sur le boulevard, à cinq cent mètres.»
Un dépanneur? Mais je ne veux pas de dépanneur.
Mes mains ont cessé de trembler, mes larmes ont séché, je m’installe au volant, démarre et recule doucement. La 2CV s’ébranle elle aussi, les pares-choc des voitures grincent sans se détacher. Les roues patinent, le moteur cale.
Deux jeune hommes s’approchent, m’interpellent:
-Besoin d’aide mademoiselle?
Sans attendre ma réponse, ils soulèvent la voiture qui m’emprisonne, la tirent, la poussent sans ménagement et réussissent enfin à la dégager:
-Pas étonnant que vous l’ayez accrochée. Regardez comme est mal garée.
Je n’ose pas préciser que c’est justement en la déplaçant qu’ils viennent de la transformer en épave abandonnée au milieu du passage. Je fouille la boîte à gants à la recherche d’un stylo et d’une feuille de papier, sur laquelle j’écris mon nom, mon numéro de téléphone.
– Hé! Mais qu’est-ce qu’elle fait, la petite demoiselle?
Un des deux hommes s’accoude à la portière et commente mes gestes à voix haute:
– Vous lui donnez votre adresse? Il ne faut pas vous embêter. Allez stationner plus loin et laissez cet imbécile se débrouiller avec son tas de ferraille. Regardez, la tôle est rouillée, les traces de chocs sont anciennes, si vous êtes trop gentille, vous allez devoir payer des réparations dont vous n’êtes pas responsable.
Avant que j’ai le temps de répliquer, il saisit le papier que je viens d’annoter, le brandis comme un trophée, le plie et le glisse dans la poche poitrine de sa chemisette.
– C’est pour moi, ironise t-il.
L’autre garçon s’approche de la voiture abandonnée et tente de redresser le pare chocs à coups de pieds.
– Il est endommagé depuis longtemps. Dépêchez- vous, aller vous garer plus loin et ne vous occupez plus de cet incident.
Je démarre, cale, redémarre, enclenche brutalement la marche arrière sous le regard narquois des deux hommes. Je me laisse guider, embrigader, sans oser répliquer et me range de l’autre coté du parking, derrière une haie de troènes.
Les deux garçons m’ont déjà rejointe. L’un d’eux ouvre ma portière, questionne:
– C’est un moteur à injection?
Je secoue la tête:
– Non, pas du tout.
– Tu es sûre? On dirait une voiture de compétition. C’est toi qui fait du tuning?
– Non.
– Ton père, ton frère?
Je secoue la tête, sans répondre.
– Ton petit copain?
– Elle était déjà comme ça quand je l’ai achetée.
Ils me tutoient, s’accoudent sans gêne contre la carrosserie, s’imposent:
– Tu vas à la piscine?
– Oui, évidement, pourquoi me serais-je garée ici si je n’y allais pas ?
– Seule?
– Non, j’ai rendez-vous avec une amie.
– Une amie? ça tombe bien,nous t’accompagnons.

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